T’es qui Tiki ?
Première bonne nouvelle, vous n’êtes donc pas perdu au milieu du Pacifique. Mais alors, pourquoi tous ces décors tropicaux ? C’est quoi, finalement, un bar tiki ?
Maoriwood
Selon le folklore polynésien, Tiki est le premier homme, ou le dieu qui créa le premier homme1. Les tikis sont également des statuettes en pierre, en bois ou en os figurant une divinité sous forme humaine. Apparues dès le 15ème siècle, ces figurines et leur version miniature en pendentif (hei-tiki) sont tantôt bonnes, tantôt neutres voire mauvaises, toujours sacrées2.
Mais l’histoire des cocktails tikis ne commence pas il y a plusieurs siècles sur une île paradisiaque. Loin de là. C’est en 1933, au sortir de la Prohibition que démarre la folie tiki dans le sud des Etats-Unis. Ernest Raymond Beaumont-Gantt, inspiré par ses voyages de jeunesse en Jamaïque et dans les Caraïbes ouvre à Hollywood un bar-restaurant à la décoration plutôt bariolée.
C’est ce bar, le Don’s Beachcomber, qui pose les codes du tiki : une vision idéalisée des cultures insulaires et nautiques. Un mix entre cuisine exotique mêlant vaguement des influences cantonaises et hawaïennes et une esthétique qui s’égare parmi les nombreux objets ramenés de ses voyages, un ameublement en bambou et des ustensiles de pêche, le tout arrosé par des cocktails à base de rhum. Après avoir visité le Beachcomber, Jules Victor Bergeron ouvre son grand concurrent historique, le Trader Vic. Ces deux établissements deviennent des chaînes, copiées et recopiées, répandant la culture tiki sur le territoire américain.
Rise and Fall
En 1939, l’Exposition Internationale de Californie met les cultures du Pacifique en avant. La fin de la seconde Grande Guerre signe le retour de nombreux soldats ayant servi dans les îles du Pacifique Sud contre le Japon, ramenant dans leurs bagages leur vécu, leurs histoires et leur imaginaire3. Enfin, le développement des compagnies aériennes permettent à la classe moyenne américaine de s’envoler vers des destinations jusque-là totalement inaccessibles.
En 1953, la vague tiki prend de l’ampleur avec l’ouverture du bar-restaurant Luau par Stephen Crane. Aspirant acteur, fréquentant le beau monde d’Hollywood, il contribue à faire de ces bars-restaurants des endroits chics et chers, fréquentés par la bonne société et les stars. Trader Vic signe par exemple un accord avec Hilton et Stephen Crane avec Sheraton. La culture tiki, amalgame de fantasmes lointains, permet à l’Amérique de voyager à moindre frais.
Mais voilà, au fil des années, le phénomène s’essouffle. Les années 70 voient arriver sur le monde de la nuit le règne du disco et les bars tikis ferment à tour de rôle. L’esthétique tiki n’est plus à la mode et les bâtiments qui s’en inspirent sont détruits. Le tiki sombre dans l’oubli. Pire, il se ringardise.
Tous les chemins mènent au rhum
La culture tiki s’inspire d’une vision idéalisée des îles du Pacifique et des Caraïbes. C’est donc, historiquement, le rhum qui servira de base aux premiers cocktails tikis4. Don Beach avait plus de 140 rhums différents dans son bar. D’ailleurs, pourquoi s’arrêter à un seul rhum quand on peut en mélanger plusieurs ? Don et Vic adoraient mélanger deux ou trois sortes de rhum différents pour apporter plus de complexité à leurs boissons. L’autre ingrédient classique du tiki, c’est le jus de fruit. Frais, bien entendu. Enfin, la touche finale est apportée par les sirops maison et les mélanges d’épices jalousement gardés secrets.
Le retour du roi
Si le tiki kitsch fait un petit retour sur scène durant les années 90 et ses chemises à fleurs, c’est surtout la vague du renouveau des cocktails et le travail d’enquêteur de passionnés de la mouvance tiki qui vont lui permettre de retrouver ses lettres de noblesse durant les années 2000.
Aux premières années de la scène tiki, dans l’atmosphère de rivalité entre Don Beach, Trader Vic et leurs nombreux concurrents voulant s’offrir une place sous le soleil, chaque bar tente de garder secrètes leurs recettes. Les instructions des barmans sont cryptées : 2 cl de la bouteille n°4 par ci, 1 dash de spices n°8 par là. Ce qui n’est qu’une stratégie commerciale à l’époque devient le plus grand obstacle du retour des tikis pour les barmans contemporains, perdus dans la multiplication de recettes souvent très différentes ou simplifiées après 30 ans d’oubli.
Comment retrouver ces formules que certains croient perdues à jamais ? En enquêtant, comme Jeff « Beachbum » Berry. C’est encore gamin qu’il tombe sous le charme des établissements tikis, ébloui par les décors et l’imaginaire véhiculé par ces lieux mythiques.
Mais en grandissant, la mode est passée et il ne peut goûter à ces cocktails mythiques, les établissements ayant mis entretemps la clé sous la porte. Pire, il se rend compte qu’aucune recette écrite officielle n’existe pour la plupart des grands classiques de cette tendance majeure qui a duré près de 40 années. Beachbum part donc à la recherche des barmans de l’époque pour essayer de reconstituer les recettes. Une aventure qui se concluera par l’édition d’une demi-douzaine de livres depuis 1998, et quelques faits d’armes, comme les proportions du celèbre Zombie, aidant à remettre le tiki au goût du jour.
Classics tikis
Si les bars tikis actuels proposent de délicieuses créations, découvrir les tikis, c’est aussi découvrir les grands classiques du style. Mai Tai (qui ne vient pas de Thaïlande, on vous l’assure), Zombie, Painkiller, Pearl Diver ou Navy Grog, des dizaines de cocktails à goûter et dont souvent, chaque bar a sa propre interprétation. Ces variations sont dues aux mystères entourant les recettes originales, comme cité plus haut, ou à la disparition de certains ingrédients. Le Mai Tai, dans sa version de 1944 par Trader Vic5, se base sur un rhum J.Wray & Nephew de 17 ans d’âge ; un rhum qui n’est plus produit actuellement. Chaque bar, même ceux qui veulent coller au plus près aux versions historiques, devront réfléchir par quel rhum le remplacer.
Aujourd’hui, le renouveau du tiki a vu de nombreux bars réouvrir et créer leurs propres cocktails. Le tiki est généreux, et s’il aime le rhum, il est souvent ouvert au mélange avec d’autres alcools: tequila, gin, whisky, mezcal, you name it, tiki’s got it all. Baigné dans des ambiances festives, le retour du tiki sur le devant de la scène cocktail est entériné. Alors, qu’attendez-vous pour partir en voyage vers les îles paradisiaques tikis?
Ce n’est pas tout !
A Bruxelles, il n’existe pas encore un bar spécialisé dans les cocktails tiki. Par contre, un petit détour au Drifter à Gand vous permettra de découvrir la culture Tiki en Belgique.
La Brussels Cocktail Week arrive à grand pas : deux évènements liés au Tiki à ne pas rater le vendredi 28/09. Chez Copain, le guest de Guillaume Leblanc du Dirty Dick, bar tiki bien connu de Paris et au Stoefer, Tiki Night avec Thibault Maquignon du Danico.